jeudi 5 avril 2018

Il y a deux cents ans aujourd'hui, San Martín gagnait la bataille de Maipú [Bicentenaire]

C'était un dimanche, le deuxième dimanche après Pâques, qui, en 1818, était tombé encore plus tôt que cette année. Une description détaillée de cette journée où se jouait le sort du Chili nous a été laissée par un commerçant anglais, Samuel Haigh (1), dans un ouvrage de souvenirs qu'il publia une fois rentré dans son pays et qui ne fut traduit en espagnol qu'en 1917, à Santiago du Chili, pour le centenaire de la bataille de Chacabuco, qui avait inauguré la campagne de libération du pays par le général José de San Martín (1778-1850) et son ami personnel et allié politique, le Chilien Bernardo O'Higgins (1778-1842).

Une du 22 avril 1818 de la Gazeta de Buenos Ayres
qui annonce la victoire aux Argentins
Le journal avait été fondé en mai 1810
par le premier gouvernement révolutionnaire
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Trois semaines auparavant, les forces patriotes, à la tête desquelles se trouvait San Martín, avaient été dispersées à Cancha Rayada, par une attaque nocturne de l'ennemi absolutiste (cf. mon article du 19 mars 2018). Revers militaire au cours duquel O'Higgins avait été méchamment blessé, ce qui devait le tenir éloigné du champ de bataille au matin du 5 avril 1818.

Dans The Morning Chronicle du 13 juillet 1818 (Londres)
C'est le jour où l'information est confirmée
Depuis deux jours, les journaux se faisaient écho
de rumeurs de victoire sans parvenir à y croire
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A l'heure de l'angélus du soir, vers les 18h, San Martín était maître du terrain, au prix d'un terrible bain de sang. Du côté patriote, c'était les bataillons d'Afro-américains qui avaient payé le plus lourd tribut, car ils formaient le gros de l'infanterie, l'arme qui essuyait en première ligne le feu de l'ennemi. Il fallut beaucoup d'autorité à San Martín pour leur faire respecter les prisonniers de l'autre camp (2) : ces esclaves, récemment affranchis du fait même de leur engagement sous les drapeaux, les auraient lynchés avec plaisir.

Dans le Evening Mail du 13 juillet 1818 (Londres)
Le ton est très favorable à San Martín et à la cause de l'indépendance
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Cette victoire indépendantiste marqua un tournant définitif dans l'histoire du Chili. Sa liberté assurée, le pays, dirigé par O'Higgins depuis février 1817, entamait la préparation d'une expédition audacieuse, celle qui allait faire tomber Lima dans le camp de l'indépendance. Et cette fois-ci, l'armée gagnerait son objectif par la mer, ce qui impliquait de créer la marine nationale.

Dans le Dublin Evening Post, du 14 juillet 1818
Ici, c'est franchement la liesse !
Dublin déjà tenté par l'indépendance irlandaise ?
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Dans ces anniversaires, j'aime me replonger et vous plonger dans la presse de l'époque. Elle en dit beaucoup sur ce qu'est l'information de tout temps et la manière dont les journaux peuvent la déformer, en fonction des courants idéologiques auxquels ils appartiennent ou auxquels appartiennent ceux qui les dirigent ou les possèdent.

Journal des Débats du 16 juillet 1818
Il fallait deux jours pour que les journaux anglais arrivent à Paris
La Cité dont il est question est ici la City de Londres, déjà centre d'affaires à vocation mondiale.
Le texte ne laisse aucun doute sur l'hostilité à la cause de la gazette royaliste
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Aujourd'hui, j'ai donc picoré dans la presse argentine, avec cette célèbre une de la Gazette de Buenos Aires, l'organe officiel du gouvernement alors présidé par le Directeur suprême Juan Martín Pueyrredón, celui-là même qui avait été élu deux ans plus tôt par le Congrès de Tucumán, juste avant le vote de la déclaration d'indépendance des Provinces du Sud, devenues depuis la République Argentine.

Journal des Débats le 18 juillet 1818
L'information ne peut plus être niée.
Le journal invente n'importe quoi pour amoindrir la gloire de San Martín !
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Dans la presse britannique qui ne cachait pas son enthousiasme devant la victoire, plutôt inattendue, du génial San Martín, qui, en un an, avait gagné un haut degré d'estime (et d'admiration) dans le courant libéral européen.

Dans la presse française, dominée par le Journal des Débats, une feuille alors très loyale à la Restauration et que, par conséquent, cette victoire du Chili indépendant défrisait passablement...



(1) J'ai inclus ce texte très beau dans mon anthologie de documents historiques, San Martín par lui-même et par ses contemporains, que j'ai publié aux Editions du Jasmin et que je dédicacerai, entre autres, le 1er mai prochain, au Salon du Livre d'Expression populaire et de Critique sociale, à Arras.
(2) Cet épisode aussi est raconté par Samuel Haigh.