samedi 23 septembre 2017

Rebondissement dans l'affaire Maldonado [Actu]

Página/12 ne fait pas les choses à moitié : il consacre toute sa une à l'affaire
Le policier à côté du juge récusé appartient à la police fédérale (et non à la gendarmerie)

L'affaire Maldonado est l'un de ces dossiers empoisonnés qui donnent lieu à toutes les interprétations politiques possibles et imaginables. Il s'agit de la disparition, le 1er août dernier, d'un jeune artisan, militant kirchneriste, Santiago Maldonado, qui manifestait aux côtés de Mapuches (plus ou moins authentiques) (1) qui revendiquaient le respect par la Gendarmerie de l'inviolabilité de leur territoire sacré. Il s'avère que d'autres Mapuches avaient, quant à eux, donné à la Gendarmerie le droit de fouler ces terres, qui sont bel et bien sacrées mais qui ne sont pas interdites pour autant.

Depuis le 1er août, Santiago Maldonado n'a plus réapparu et ses camarades de militance affirment que la dernière fois qu'il a été vu, il était avec des gendarmes. La ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, connu pour son visage peu souriant et sa manière de s'exprimer quelque peu rude (façon Nadine Morano, en France), a soutenu avec force la Gendarmerie, déniant toute implication d'un de ses membres dans cette disparition. Par la suite, d'autres membres du Gouvernement se sont montrés moins affirmatifs et il est possible, mais non encore prouvé, que des éléments des forces de l'ordre aient commis des actes répréhensibles ou qu'ils aient suivis des ordres très discutables, qu'ils soient venus du cabinet de la ministre ou de leur chef de section. La gauche kirchneriste s'est emparé de ce douloureux incident pour accuser le Gouvernement d'en être le commanditaire.

Sur la une de La Nación, le titre n'occupe qu'un quart de la une
(voir mon article du 21 septembre sur cette question)
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Partout où je suis passée en Argentine lors de ma tournée de conférences cette année, en août et septembre, j'ai pu constater que les plus tempérants des non-kirchneristes sont persuadés que ces accusations très graves relèvent d'une tentative de manipulation de l'opinion publique de la part d'une partie très activiste de l'opposition et participent de la stratégie traditionnelle des péronistes lorsqu'ils se retrouvent en minorité. J'ai vu ces personnes excédées par l'instrumentalisation de cette affaire (2). Aux élections, les péronistes de gauche font d'excellents gagnants et, trop souvent, de détestables perdants. A la suite d'une défaite, ils ne reculent devant aucun mensonge pour tirer la situation à leur avantage. Et il faut avouer que pour assimiler le présent gouvernement à la dernière dictature militaire (3), il faut une bonne dose de mauvaise foi : la Justice marque en effet de plus en plus son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif, se prononçant tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, en fonction des éléments du dossier davantage, semble-t-il, que d'instructions gouvernementales, qui n'existeraient plus (4).
C'est ainsi qu'il y a un mois le tribunal électoral a déterminé que dans la Province de Buenos Aires, l'ancienne présidente, Cristina Kirchner, était arrivée en tête des PASO (les primaires argentines), devant le candidat de la majorité à un siège de sénateur, Esteban Bullrich, ancien ministre de l'Education nationale, pour une poignée de voix (courte différence qui avait précisément obligé la justice à intervenir).
Dans plusieurs procès contre des criminels de la dictature, les juges ont récemment prononcé des peines de prison ferme assez lourdes, contre des vieillards, qui dorment derrière les barreaux. Après la manifestation du 1er septembre, qui s'est conclue par des destructions en tout genre sur Plaza de Mayo (5), le juge a siégé exceptionnellement le dimanche pour entendre les 31 personnes arrêtées pour vandalisme et il a finalement décidé la mise en liberté de trente d'entre elles, alors que les prte-parole de la manifestation, sans un mot d'empathie pour les 15 gendarmes blessés par les émeutiers et hospitalisés, criaient à la répression politique de la part des forces de l'ordre (et la levée d'écrou du dimanche les a réduits au silence).
Et hier, la justice fédérale a donné raison à l'une des parties civiles, le CELS, association des droits de l'homme présidée par Horacio Verbitsky, l'un des principaux rédacteurs de Página/12, et a révoqué le juge Guido Otranto, chargé de l'instruction sur cette affaire de disparition. La chambre fédérale a en effet reconnu la validité du soupçon de partialité et elle a nommé un autre juge, qui devra se consacrer exclusivement à cette enquête. En revanche, les demandes de l'autre partie civile, constituée par la famille du disparu, ont été rejetées par le tribunal.

Clarín préfère rester sur l'affaire Nisman, qui met à mal l'opposition
L'affaire Maldonado n'a droit qu'à un titre subalterne, dans la colonne de droite
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Le journal La Nación relève que cette décision de la chambre fédérale a été saluée de manière constitutionnelle par le gouvernement qui aurait pourtant préféré le maintien du juge Otranto. En effet, cinquante jours après l'ouverture de l'instruction, on pouvait espérer une première décision à la mi-octobre, c'est-à-dire juste avant le premier tour des élections de mi-mandat, alors que le changement de magistrat va faire durer la première phase de la procédure jusqu'au mois de décembre. L'affaire va donc continuer d'empoisonner la campagne électorale à cause de sa politisation forcenée par une opposition, qui n'a pas vraiment tiré son épingle du jeu des PASO et risque de rester en minorité jusqu'à la fin du mandat présidentiel.

Pour en savoir plus :
lire l'analyse de La Nación sur les réactions à la Casa Rosada



(1) Il n'est pas rare en effet que la qualité de membre d'un peuple originaire soit usurpée (si tant ait que cette qualification ait un sens) par certains militants de gauche auxquels cette supercherie apporte quelques facilités pour se faire entendre, pour obtenir des subsides, pour mener à bien des chantiers, puisqu'il existe des politiques, provinciales ou nationales, censées soutenir la survie culturelle de ces peuples et appliquer une tolérance pour des modes d'administration qui sortent du droit romain qui s'applique dans le reste du pays.
(2) Il faut avouer que la multiplicité des affiches réclamant qu'on retrouve Santiago Maldonado vivant fait réfléchir : d'où sort l'argent utilisé pour imprimer autant d'affiches, d'aussi grande taille et d'aussi bonne qualité, que l'on voit absolument partout dans tout le pays, alors que l'événement s'est produit dans la province de Neuquén, en pleine Patagonie ? Comment se fait-il que cet argent, en pleine année électorale, n'a pas été budgété sur d'autres actions que les partis de l'opposition de gauche disent urgentes pour soulager la misère que la politique actuelle développe à grande vitesse ? Le moins que l'on puisse dire est que tout cela n'est pas très clair.
(3) On peut ne pas honnêtement confondre dictature militaire et modèle néo-libéral (tel qu'il est appliqué actuellement en Argentine). Cette confusion, entretenue dans le discours électoral kirchneriste, relève du manque de nuance dans l'Argentine militante, où tout est toujours tout blanc ou tout noir.
(4) Rappelons que François Hollande avait lui aussi déclaré que sous son autorité, le gouvernement français ne donnerait plus de directives sur des affaires en cours, que personne n'y avait cru dans le pays, que la droite a tout fait pour accréditer le contraire (notamment pendant l'affaire Fillon) et qu'il s'avère que ce fut pourtant la pratique pendant tout le quinquennat. Donc ce n'est pas parce que l'opposition argentine ne veut accorder aucune foi aux déclarations de la majorité en place que celle-ci ment comme un arracheur de dents...
(5) J'y ai fait écho en son temps sur ma page Facebook.