vendredi 30 décembre 2016

La justice argentine revient sur la chose jugée [Actu]

Página/12 titre : de l'attentat contre la AMIA à l'attentat contre la Justice
au-dessus du portrait des trois juges formant la première Chambre pénale de la Cour de Cassation
En manchette, en haut, un titre secondaire concernant Milagro Sala (en photo)

Hier, la première chambre pénale de la Cour de Cassation fédérale a choisi de faire droit à la demande de la DAIA (association parapluie de toutes les associations représentatives de la communauté juive nationale) de rouvrir un dossier pourtant définitivement clos, puisque la cause avait déjà passé toutes les étapes de la procédure en étant à chaque fois rejetée pour défaut de fait répréhensible : l'imputation de Cristina Kirchner par feu le procureur Alberto Nisman pour entrave à la justice constituée par sa tentative de conclure un accord d'échanges de procédures judiciaires avec l'Iran, suspecté d'abriter les commanditaires de l'attentat à la voiture piégée contre la AMIA, le 18 juillet 1994 (85 morts et plus de 300 blessés).
Or cette négociation avec l'Iran, qui n'a jamais fait retiré les ordres de capture internationale transmis à Interpol contre les commanditaires potentiels, est restée sans effet puisque l'Iran n'a jamais ratifié aucun accord. En revanche, du côté argentin, le Congrès a examiné le projet d'accord et l'a ratifié, ce qui rend encore plus ubuesque une inculpation pénale de la chef d'Etat. Depuis l'accord ratifié a été déclaré inconstitutionnel par la Cour Suprême fédérale, ce qui en aucun cas ne peut constituer un motif d'inculpation contre qui que ce soit.

C'est un gros coup de tonnerre car il y a deux principes intangibles dans l'Etat de droit :
  • On ne juge pas deux fois les mêmes faits dès lors que tous les recours et délais légaux sont épuisés. ; on ne revient pas sur la chose jugée.
  • La loi n'est pas rétroactive. Les actes doivent être jugés à la lumière de la loi qui était en vigueur au moment où ils ont été commis. Or au moment de la négociation, il n'existait en droit argentin aucune possibilité de jugement par contumace en Argentine et pour juger les commanditaires, il fallait donc pouvoir aller les auditionner en Iran si l'Iran ne voulait pas les livrer (et l'Iran ne les a jamais extradés). La possibilité de juger par contumace a été proposée récemment au Congrès, au cours de cette première année du mandat de Mauricio Macri, sans doute pour remédier à cette difficulté...


La Nación réserve la photo de une à la nouvelle équipe des ministres de l'Economie
voir mon article sur le départ du ministre Prat-Gay
(le physique de Macron, mais les idées nettement plus à droite)
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Il y a fort à parier qu'il va y avoir du sport dans le monde judiciaire argentin dans les jours ou les semaines qui viennent, une fois passée le réveillon de la Saint Sylvestre, et peut-être quelques démissions de juges qui voudront protester (les juges qui démissionnent se reconvertissent ipso facto en avocat, donc leur démission n'a pas le poids qu'elle aurait dans un pays comme la France où la reconversion d'un magistrat prend beaucoup plus de temps).

Le tribunal a fait savoir tôt dans l'après-midi que les juges travaillaient à la rédaction de l'arrêt. On a donc compris à ce moment-là que la Cour de Cassation fédérale rouvrait l'affaire. Dans le cas contraire, elle n'aurait pas eu besoin de longues heures entre ce premier communiqué et la publication (tard hier heure de Paris) du jugement, qui fait 249 pages intégralement publiées sur le site Internet du Centre d'Information Judiciaire (CIJ). La Cour a logiquement décidé d'écarter du dossier les juges qui l'ont déjà eu à en connaître mais la presse prend cette décision comme une sanction, notamment contre le juge Daniel Rafecas, que la droite soupçonne d'être favorable à Cristina (ce qui ne saute pourtant pas aux yeux). En tout cas, dès l'annonce de la réactivation du dossier, le gouvernement n'a pas caché sa joie, ce qui vient au regard de la gauche renforcer le soupçon d'une justice aux ordres, qui changerait d'avis en fonction du gouvernement en place.

Même politique sur Clarín
La photo de une est réservée à un problème social à Buenos Aires
avec des rues à nouveau immondes dans la chaleur de l'été
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Dans la même semaine, Cristina Kirchner a été inculpée de corruption et ses biens ont été mis sous embargo à hauteur de 10.000 millions de pesos (1) (pour éviter leur aliénation et sa fuite), dans l'affaire Lázaro Báez, un promoteur auquel la famille Kirchner a été liée sur le plan économique et sa partisane, Milagro Sala, la dirigeante du mouvement social et révolutionnaire Tupac Amaru, a elle aussi été condamnée à trois ans de prison avec surpris et une forte amende de près de 4.000 $ ARG pour une première série de chefs d'inculpation par la justice provinciale de Jujuy (une condamnation qui couvre l'intégralité de ce qu'il reste à courir du mandat de l'actuel gouverneur).

C'est donc une cataracte d'affaires judiciaires qui tombe sur le camp kirchneriste, qui garde un rôle central dans l'opposition nationale.

Pour en savoir plus sur la réouverture de l'affaire Nisman-Kirchner
Je vous donne ici les liens vers les articles d'hier mais vous pouvez accéder aux journaux et voir sur leurs sites les éditions d'aujourd'hui. Elles sont tout aussi édifiantes.
lire l'article de Página/12 (la rédaction était scandalisée, comme on peut l'imaginer, elle l'est toujours aujourd'hui comme en témoigne la une du journal)
consulter le schéma synthétique que La Nación a publié hier pour représenter l'embrouillamini des allers et retours du dossier entre les différents niveaux de juridiction depuis près de trois ans
lire le communiqué du CIJ qui propose l'intégralité de l'arrêt en format pdf téléchargeable

Pour en savoir plus sur l'inculpation de Cristina Kirchner, qui tombe entre les deux fêtes de fin d'année (2) :
lire l'article de Clarín sur la cascade judiciaire qui tombe sur l'ancienne chef d'Etat (la rédaction se frotte les mains)
lire le communiqué du CIJ de mercredi dernier (avec l'intégralité de l'acte d'inculpation contre Cristina et quelques autres co-inculpés, dont plusieurs ministres)

Pour en savoir plus sur la condamnation de Milagro Sala, qui reste en prison préventive dans le cadre d'autres affaires :
lire l'article de Página/12 (qui la soutient sans l'ombre d'une hésitation)
lire l'article de Clarín aujourd'hui sur l'amende qui a été infligée en plus de la peine de prison avec sursis.



(1) Cela fait beaucoup d'argent pour quelqu'un qui ne se serait pas enrichi pendant ses mandats et ceux de son défunt mari...
(2) Il est tout à fait possible que ce soit volontaire, pour éviter l'organisation de trop grosses manifestations, notamment à Buenos Aires, vidée d'une partie de ses habitants de la classe moyenne partis en vacances, à la mer, à la montagne ou à la campagne)