mardi 25 octobre 2016

L'Uruguay dit adieu à une haute figure politique [Actu]


Jorge Batlle aurait eu quatre-vingt-neuf ans aujourd'hui. Il est mort hier des suites d'une chute qui lui a occasionné des lésions cérébrales que les médecins n'ont pas pu pallier. Il est veillé aujourd'hui au Parlement et sera enterré dans la soirée dans le cimetière majeure de Montevideo.

Il a été le président très libéral de la République Orientale de l'Uruguay de mars 2000 à février 2005, quinze ans après le retour à la démocratie. L'ancien avocat qu'il était a impulsé une nouvelle attitude de l'Etat envers les droits de l'Homme dès le début de son mandat. C'est lui qui, dans le mois de mars 2000, a annoncé l'identification de la petite-fille du poète argentin Juan Guelman, qui était notoirement de gauche (il a travaillé jusqu'à son dernier jour au sein de la rédaction de Página/12, à Buenos Aires), après une recherche similaire à celle que mène l'association Abuelas de Plaza de Mayo. C'était de part et d'autre du Río de la Plata la même politique de rapt des enfants pour les retirer à une famille supposée subversive.

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La deuxième année de son mandat unique a été sévèrement affectée par une série de catastrophes économiques pour le pays, tout d'abord à l'automne une épidémie de fièvre aphteuse dans un pays dont l'élevage est une des clés de voûte du PIB et ensuite à l'été suivant, les conséquences désastreuses de la crise financière en Argentine à quoi s'ajouta un scandale dans l'une des principales banques privées du pays... Son mandat fut le dernier d'une longue série de gouvernements de droite et c'est l'actuel président, Tabaré Vázquez, du Frente Amplio (la coalition de toute la gauche), qui lui succéda. C'est lui qui est à nouveau à la tête du pays depuis un an, après les six ans de Pepe Mujica. Jorge Batlle, à qui Vázquez avait envoyé des vœux de prompt rétablissement il y a quelques jours, meurt alors que son successeur est en visite officielle en Argentine pour renouer des relations diplomatiques apaisées avec Mauricio Macri (les relations n'étaient pas excellentes du temps de Cristina Kirchner, malgré l'appartenance des deux gouvernements à la gauche continentale).

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Si en Uruguay, où Pepe Mujica lui a rendu hommage, Jorge Batlle jouit à nouveau d'une bonne image, celle d'un démocrate sans peur et sans reproche, qui a dirigé le Partido Colorado, le principal parti d'opposition, dans un esprit pluraliste, il n'a jamais été bien apprécié en Argentine. Un jour, après une interview sur la chaîne économique Bloomberg, on l'avait entendu dire, alors que les micros étaient restés allumés, que "les Argentins étaient tous une bande de voleurs, du premier jusqu'au dernier". Ces paroles off-the-record avaient fait le tour du continent et on les ressort encore aujourd'hui dans la presse (pourtant de droite) qui lui rend hommage à Buenos Aires. Il faut dire que ces propos sont lourds de toute une histoire très conflictuelle entre les deux pays et qui remonte presque jusqu'à la fondation de Montevideo sous l'Ancien Régime...

La Nación en Argentine consacre sa photo de une à la jungle de Calais
et Batlle a droit à un petit encadré en bas à droite
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Elu à la présidence de son pays à sa cinquième tentative, Jorge Batlle appartenait à une vieille famille patricienne de son pays qui a fourni quatre chefs d'Etat à l'Uruguay. L'ancêtre était un négociant espagnol arrivé à Montevidéo en 1799. L'un de ses fils, né en 1810, l'année de la révolution, dans la Banda Oriental comme on appelait alors le pays, fut élu président en 1868. Son fils fut à son tour élu en 1903 et 1911 (le seul à avoir fait deux mandats, non successifs comme il se doit). Jorge Batlle était le petit-neveu de celui-ci et un descendant direct du commerçant espagnol qui s'était installé à Montevideo au milieu du règne de Carlos IV.

Pour aller plus loin :
lire l'article principal de El País (qui en propose un très grand nom aujourd'hui)
lire l'article principal de El Observador, qui propose un cahier spécial avec l'édition de ce matin et sur son site Internet a remis en ligne la dernière interview de Batlle datée du 21 septembre sur son canal de télévision digitale
Dans la presse argentine, seuls La Nación et Clarín y font mention ce matin, l'entrevue surprise accordée hier au Vatican par le Pape François à Nicolás Maduro pour ouvrir une voie de dialogue au Venezuela entre le gouvernement et l'opposition avant que tout explose prend le dessus dans tous les titres.
Lire l'article de La Nación sur la famille Batlle
lire l'article de La Nación sur l'histoire de la présidence de Jorge Batlle